L'aurore de la crypto-finance légitime

02/02/2020
Le développement de l’économie numérique est parfois devenu un lieu commun des politiques publiques. Et souvent, au-delà des discours performatifs et de la « pensée magique », les actions des Etats se limitent à la numérisation des services existants ; à la création d’applications facilitant l’accès et l’usage à des services traditionnels ; à la l’interconnexion des réseaux publics et la centralisation des « Data ». Il s’agit plus de « scanner » le vieux monde que de prendre la mesure de la révolution en cours et de permettre la création de nouvelles richesses.

De même, rare sont ceux qui perçoivent l’onde de choc que crée la technologie des registres distribués (DLT) et comment elle change déjà le monde qui nous entoure.


Les institutions publiques, elles aussi, ont du mal à faire leur deuil du monde d’avant. Et les sentiments de la communauté financière et politique vis-à-vis de la crypto-finance à suivi le modèle de Kübler-Ross[1]:

Le choc et le déni : « Je peux dire avec une quasi-certitude que les cryptomonnaies en général vont mal finir » Warren Buffet (2018)[2]

La colère : « #Libra ne soulève pas seulement des problèmes de sécurité et de stabilité financière. Libra demande en réalité aux États de partager leur souveraineté monétaire avec une entreprise privée. C’est inacceptable ! »  Bruno Le Maire (2019)[3]


(…) Mais il semble que nous approchions désormais de la dernière étape, celle de l’acceptation.

En effet, le 13 janvier 2020, le Parti Communiste Chinois à publié un ouvrage de 200 pages intitulé « Digital Currency : A Reader for Cadres [4]», sous-titré « Les cryptomonnaies sont inévitablement dans le sens de l’histoire » alors que la Chine avait en 2017 une position très sévère sur ces sujets.[5]

Et le 17 janvier 2020 l’OCDE a publié un rapport sur la “tokenisation des actifs et ses implications potentielles pour les marchés financiers[6] » qui met en exergue les aspects disruptifs des « actifs digitaux » sur les opérations de marché, la liquidité, le prix, les formalités de back office mais aussi qui envisage l’usage de cryptomonnaies souveraine dans certaines transactions (Delivery versus Payment).


L’un des points particulièrement intéressant du rapport de l’OCDE est, d’ailleurs, l’articulation entre les mécanismes décentralisés et les tiers de confiance qu’il met en lumière. Ainsi, le rapport note[7]:« Malgré son potentiel de désintermédiation à de nombreux niveaux, la tokenisation des actifs dépendra en fin de compte de l'existence d'une autorité centrale fiable et crédible qui garantira l’adossement des jetons à des actifs réels, ainsi que leur conservation. Cela pourrait impliquer d’accorder un rôle central à un tiers de confiance tel un dépositaire / séquestre qui pourrait être appelé à agir en tant que partie de confiance garantissant la connexion du monde hors chaîne à l'environnement tes technologies de registre distribués ».

C’est l’occasion de dissiper le malentendu qui existe à propos des systèmes de registre distribués qui sont sensés fonctionner sans tiers de confiance. Certes, leur fonctionnement intrinsèque se fonde sur le « consensus » et non « l’autorité », néanmoins cela ne veut pas dire que pour s’assurer de la « véracité » des informations inscrites dans les registres (Oracles), de l’effectivité des smart contracts (system auditors), de la conservation des actifs physiques ou numériques (custodian/dépositaire) il n’y ait pas besoin de « tiers de confiance » voir, « d’entités souveraines » comme ultime garant.

C’est là une façon d’encourager les Etats à prendre à bras le corps la problématique de la création de places monétaires numériques sûres, contrôlées et transparentes en faisant une des choses qu’ils font le « mieux » : réguler et contrôler.
Dans cette course internationale qui se dessine, la Chine trace une voie originale mêlant smartcity (Shengzen)[8], cryptomonnaies souveraine[9] et conversion de l’appareil d’Etat aux technologies de registres distribués.

Une autre option est néanmoins possible (souhaitable ?) pour les pays qui ambitionnent de devenir les références mondiales de la finance numérique il s’agit : (i) de publier une régulation globale sur les technologies de registre distribués ; (ii) de créer les professions et autorités susceptibles d’assurer un contrôle effectif de cette nouvelle économie et (iii) de créer les Bourses (Exchanges) et les Dépositaires (Custodians) Souverains qui sont les seuls à pouvoir, en l’état, garantir la sécurité du marché et le respect ultime des règles d’identification de la clientèle et de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Ce qui est une condition dirimante à la connexion du « vieux monde » de la banque et de la finance au « nouveau monde » des crypto-actifs.


Le temps presse, car il n’y a que peu de place sur le podium de la place financière numérique la plus attractive et la course a déjà commencé entre petits pays agiles et grandes nations volontaires.

Plus que jamais, le Monde appartient à ceux qui se lèvent tôt.

Pour plus d'information sur le sujet, merci de contacter Damien Concé, Docteur en droit : d.conce@rosemont.mc

 
[1] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mod%C3%A8le_K%C3%BCbler-Ross
[2] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/pour-warren-buffett-les-cryptomonnaies-ca-va-mal-finir-764202.html
[3] https://medium.com/@BrunoLeMaire/libra-est-une-menace-pour-la-souverainet%C3%A9-des-etats-f832e8f577e7
[4] https://www.bloomberg.com/news/articles/2020-01-13/-digital-currency-for-cadres-is-china-s-latest-how-to-book-hit
[5] https://www.numerama.com/business/286261-crypto-monnaie-la-chine-bannit-les-levees-de-fonds-le-cours-du-bitcoin-chute.html
[6] OECD (2020), The Tokenisation of Assets and Potential Implications for Financial Markets, OECD Blockchain Policy Series, page 33 paragraphe 6 
[7] https://korii.slate.fr/tech/chine-villes-smart-city-shenzhen-surveillance-reconnaissance-faciale-credit-social
[8] https://www.bloomberg.com/news/articles/2019-09-10/why-china-s-rushing-to-mint-its-own-digital-currency-quicktake