Nouvelles règles de déduction des passifs pour la fixation du patrimoine imposable: Le bonheur est-il dans le "prêt" ?

14/06/2019
Sous l’empire de l’ISF (Impôt Sur la Fortune), la règle générale était simple : étaient déduites les dettes grevant le patrimoine taxable au 1er janvier de l’année d’imposition, sous la réserve de l’abus de droit lorsque l’administration prouvait que la dette poursuivait un but exclusivement fiscal (à savoir réduire l’impôt), réserve dont la portée pratique était limitée. Depuis la loi de finances pour 2018 (complétée par celle pour 2019) et l’arrivée de l’IFI (Impôt sur la Fortune Immobilière), les contribuables sont confrontés à un dispositif plus étoffé qui voit l’éclosion du concept de « l’objectif principalement fiscal », plus contraignant que l’abus et qui vise notamment l’utilisation de la SCI. Simple pierre dans le champ fiscal du contribuable ou véritable régression dans la liberté d’organiser son patrimoine ? En pleine campagne déclarative pour 2019, Jérôme Brimaud, avocat et responsable du département fiscal chez Rosemont International, vous propose un survol du bocage du nouveau dispositif.



LES NOUVELLES REGLES DE DEDUCTION : UNE VRAIE REVOLUTION ?

Le nouveau mécanisme a introduit plusieurs séries de restriction en jouant sur le principe de la déduction ou le quantum de la dette fiscalement acceptable, afin d’empêcher les redevables de réduire anormalement leur base taxable.
  • Définition des dettes éligibles. Sont déductibles les dettes afférentes aux dépenses d’acquisition du bien immobilier (ou des parts ou actions la société qui le détient), de construction ou d’amélioration, d’entretien ou de réparation. Rien de fondamentalement nouveau par rapport à l’ISF. Côté charge fiscale, seule la taxe foncière est désormais déductible alors qu’antérieurement la taxe d’habitation ainsi et de l’IR et la CSG l’étaient également.
 
  • Interdiction des dettes vis-à-vis des proches. Il s’agit du prêt contracté par le contribuable auprès de son conjoint ou d’un membre de son foyer fiscal (imposable avec l’emprunteur). Un époux ayant des biens propres peut en effet prêter à l’autre et la dette conduit à réduire la base taxable du foyer, le législateur tirant ici la conséquence logique de la non-taxation à l’IFI de la créance de prêt correspondante.
La déduction des autres emprunts « familiaux » (ascendants, enfants majeurs, frères et sœurs) n’est elle pas interdite. Cependant, en raison de la suspicion qu’ils peuvent inspirer, elle est conditionnée au caractère « normal » du prêt (terme des échéances et caractère effectif des remboursements). Cette condition consacre l’approche administrative antérieure sur le fondement de l’abus.
 
  • Plafonnement des dettes agressives. C’est une vraie nouveauté, avec l’apparition de deux mécanismes distincts. Le premier concerne les prêts est remboursables en fin de contrat (prêts in fine) et prévoit que la déduction de la dette est limitée au solde (au 1er janvier de l’année) des annuités théoriques restant à courir jusqu’au terme, autrement dit un amortissement fiscal de la dette de manière linéaire sur la durée contractuelle du prêt (un prêt de 5 ans voit son montant déductible réduit de 20% par année). Cette règle réduit voire anéantit l’effet positif de ces prêts qui permettaient jusqu’à présent d’effacer la base taxable sur toute la durée du prêt.
Le second, circonscrit aux patrimoines taxables excédant 5 M€, concerne l’ensemble des dettes déductibles lorsqu’elles dépassent 60% de cette valeur et limite la déduction de la fraction supérieure à ce seuil à 50% de l’excédent, sauf au contribuable à justifier que les dettes n’ont pas été contractées dans un but principalement fiscal. A ce propos, les considérations financières (différence entre le coût du prêt et les revenus financiers générés par la même somme) pourront être mises en avant.

 

LA SCI : UNE SOLUTION D’OPTIMISATION ?

Avec l’IFI, l’utilisation d’une SCI aurait pu devenir un vrai outil d’optimisation fiscale. Mais le législateur a prévu plusieurs garde-fous afin de restreindre la déduction des dettes contractées par la société, sans toutefois supprimer toute marge de manœuvre.
  • Non-déduction des dettes de la SCI vis-à-vis des associés ou du groupe familial. Avec l’exonération des biens mobiliers, on voit aisément l’intérêt pour un contribuable, d’interposer une SCI financée intégralement par un compte courant ou prêt d’associé ou un emprunt familial, la créance correspondante sur la SCI (désormais non taxable) réduisant à due concurrence la valeur imposable de ses parts dans la SCI.
Le nouveau dispositif prévoit dans ce cas que la dette n’est pas déductible à proportion de la participation détenue dans la société par le contribuable concerné et les membres de son foyer (et du prêteur s’il est également associé). Cette règle transpose à la SCI les interdictions visées plus haut dans le cas d’une détention directe du bien, à ceci près que la dette redevient déductible si le prêt n’a pas été contracté dans un objectif principalement fiscal. Il conviendra donc de pouvoir établir que la SCI (et par suite le prêt d’associé) obéit à une stratégie patrimoniale (conserver le bien dans la famille et faciliter sa gestion), sans considération d’un avantage fiscal.
 
  • Encadrement de la « vente à soi-même ». Il s’agit de l’opération consistant pour un propriétaire redevable à vendre le bien à une SCI constituée par lui (ou conjointement avec les membres du foyer fiscal) en contrepartie d’un compte courant dans la SCI ou dans le cadre d’un refinancement par emprunt bancaire permettant de dégager des liquidités pour le propriétaire. Si on s’en tient là, la valeur nette du patrimoine imposable, relogé dans la SCI, est effacée par la déduction de la dette envers l’associé ou la banque.
Ainsi, la dette en question ne sera pas prise en compte par la valorisation fiscale des titres de la société, sauf là encore à démontrer l’absence de but principalement fiscal du schéma. En première approche, on pourra faire valoir sa motivation patrimoniale (voir ci-avant) et souligner que l’opération ne peut être motivée par une économie compte tenu des coûts associés (frais de mutation).
 
  • Plafonnement des dettes de la SCI. Depuis 2019, le financement au travers d’une SCI est également concerné par la règle de l’amortissement fiscal des dettes (la différence de traitement avec la détention en directe n’apparaissait pas justifiée). Cette correction de la valeur taxable des parts s’applique aux dettes portées par la société vis-à-vis d’une banque ou des associés (amortissement sur 20 ans en cas de compte courant sans terme). Néanmoins, elle concerne uniquement les dettes afférentes à « l’achat » d’un bien par une société, à l’exclusion du financement des travaux d’entretien ou d’agrandissement par exemple, la SCI apparaissant plus avantageuse que la détention en direct à cet égard.


COMMENT REAGIR ?

Si d’emblé la moisson d’IFI était supposée être moins bonne que celle d’ISF, l’Etat n’a pas renoncé à sa récolte fiscale annuelle en jouant sur les règles de déduction des passifs qui laissent encore la part belle à l’appréciation des services vérificateurs (sous le contrôle du juge). De là à dire qu’un contentieux est en germe…
Les contribuables ayant financé leur bien immobilier par emprunt et/ou au travers d’une SCI auront donc compris qu’un bilan de leur situation s’impose. Les candidats acquéreurs pourront eux utilement revoir leur schéma afin de ne pas semer la graine de la discorde fiscale. Le bon sens paysan en somme.
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Pour plus d'information sur les nouvelles règles de déduction des passifs pour la fixation du patrimoine imposable, merci de contacter Jérôme Brimaud, Tax Manager sur j.brimaud@rosemont.mc



Article publié dans le magazine Patrimoine Privé n°67 - Juin 2019