La fondation patrimoniale monégasque - une nouvelle proposition pour la gestion d'une fortune

23/06/2025
Le Conseil National de Monaco adopte la proposition de loi sur la fondation patrimoniale pour la gestion de patrimoine
Une nouvelle fondation privée en perspective pour les grandes fortunes de Monaco
Monaco a adopté cette semaine une proposition de loi visant à créer une nouvelle « fondation patrimoniale monégasque », un véhicule de type fondation privée pour la gestion de patrimoine. Contrairement à un projet de loi initié par le gouvernement, cette mesure émane du Conseil National et se trouve pour l’instant au stade de proposition de loi. Elle doit encore suivre le processus législatif – y compris un vote final du Conseil National – et faire l’objet d’une promulgation formelle avant d’entrer en vigueur. S’il est adopté, ce nouvel instrument représenterait une évolution significative de la panoplie juridique monégasque, en offrant des options de planification successorale onshore jusqu’alors indisponibles en Principauté.

Cette fondation proposée est essentiellement une entité juridique de droit monégasque conçue pour détenir et administrer des actifs au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires (principalement des membres de la famille) ou pour réaliser des objectifs spécifiques. Notamment, la proposition de loi limite l’utilisation de la fondation aux personnes ayant un lien effectif avec Monaco : le fondateur doit être domicilié en Principauté et la majorité des administrateurs de la fondation doivent également y résider. La dotation initiale est fixée à un niveau élevé (10 millions d’euros en numéraire) afin de cibler les particuliers fortunés et les grandes structures patrimoniales familiales. Bien que la fondation puisse s’engager dans des initiatives philanthropiques ou culturelles à titre secondaire, son objet principal reste patrimonial – la gestion de patrimoine privé – et elle ne peut avoir un but exclusivement caritatif ni exercer d’activités commerciales (sauf de manière accessoire). Point crucial, tout transfert d’actifs à la fondation ne doit pas porter atteinte aux droits des héritiers réservataires en vertu du droit successoral applicable. Cet outil est donc conçu pour compléter le cadre civil successoral monégasque, et non pour le contourner.

Alignement sur les normes internationales et conformité
La législation monégasque actuelle sur les fondations, datant de 1922 (avec des mises à jour en 2010), a pris du retard par rapport à celle d’autres places financières de gestion de fortune telles que la Suisse, le Liechtenstein ou la Belgique. Les fondations monégasques traditionnelles ne pouvaient poursuivre que des objectifs d’intérêt public ou philanthropique, ce qui limitait leur utilité pour la planification patrimoniale privée. La nouvelle proposition de loi sur la fondation patrimoniale vise à aligner Monaco sur les standards internationaux en introduisant un modèle moderne de fondation familiale privée semblable aux structures disponibles dans d’autres juridictions (telles que la Stiftung au Liechtenstein ou la fondation familiale néerlandaise). Cette démarche renforce non seulement la compétitivité de la Principauté, mais répond également aux besoins d’un segment important de sa population résidente – à savoir les grandes fortunes – qui recherchent des solutions onshore sophistiquées pour la structuration de leurs actifs.
Principales caractéristiques de la fondation patrimoniale proposée :
  • Conservation du patrimoine et planification successorale : Permet aux fondateurs de consolider et de gérer les actifs familiaux (par exemple des biens immobiliers, des collections d’art, des participations) au sein d’une entité domiciliée à Monaco, garantissant leur préservation et leur transmission contrôlée aux héritiers. Par exemple, un fondateur pourrait stipuler qu’une collection d’art précieuse reste dans le cercle familial ou soit prêtée à des musées à l’avenir, préservant ainsi cet héritage. La fondation peut servir d’outil solide de planification successorale, aidant à éviter la fragmentation du patrimoine et assurant une continuité à travers les générations.
  • Protection des actifs : Offre une structure juridique permettant de protéger les biens de valeur contre les risques externes ou les conflits familiaux. Les actifs apportés à la fondation sont détenus par une personne morale distincte, offrant potentiellement une isolation contre les créanciers ou les litiges, tout en continuant de profiter aux membres de la famille désignés conformément aux directives du fondateur.
  • Philanthropie accessoire : Offre la possibilité d’intégrer un volet philanthropique facultatif – les fondateurs peuvent consacrer une partie des activités de la fondation à des objectifs caritatifs ou culturels (par exemple des initiatives artistiques ou éducatives), bien que cela ne puisse constituer le but exclusif de la fondation. Cette flexibilité reflète les pratiques internationales, permettant aux familles de combiner la gestion de leur patrimoine privé et leur engagement philanthropique au sein d’une même structure.
  • Supervision réglementaire et conformité anti-blanchiment : La proposition de loi intègre de solides mesures de transparence conformes aux recommandations du GAFI (Groupe d’Action Financière). Les fondations seraient soumises à une inscription obligatoire sur un registre spécial tenu par la Direction de l’Expansion Économique (Registre du Commerce et de l’Industrie de Monaco), à la divulgation de leurs bénéficiaires effectifs et à l’inscription de ceux-ci au Registre des Bénéficiaires Effectifs de Monaco. Chaque fondation devra désigner un responsable chargé de conserver les informations de base sur l’entité et ses bénéficiaires. Ces garde-fous garantissent que la structure respecte les normes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme – une réforme opportune alors que Monaco s’emploie à renforcer son cadre de conformité.
Cadre juridique et fiscal de la fondation patrimoniale monégasque
Objet et nature juridique : La fondation patrimoniale monégasque est une personne morale distincte créée pour détenir et administrer des biens (meubles ou immeubles, ainsi que des droits réels) transférés par un ou plusieurs fondateurs, au bénéfice de bénéficiaires désignés ou pour réaliser des objectifs déterminés. Il s’agit d’une fondation privée destinée à la préservation à long terme d’un patrimoine familial ou à des fins familiales spécifiques, par opposition aux fondations monégasques traditionnelles à but d’utilité publique. Par la loi, elle ne peut exercer d’activité commerciale régulière (excepté de façon accessoire dans la poursuite de son objet) et ne peut s’engager dans l’exercice de professions libérales ni d’activités industrielles ou artisanales. À noter que si la fondation peut mener des projets philanthropiques à titre secondaire (p. ex. des initiatives culturelles ou caritatives), de telles activités doivent rester accessoires et ne pas constituer l’unique objet de la gestion des actifs fondationnaires.
Qui peut créer la fondation : Le fondateur peut être toute personne physique ou morale dont l’objet social est la gestion du patrimoine d’une ou plusieurs personnes. Cependant, afin d’assurer un lien effectif avec Monaco, le fondateur doit être domicilié en Principauté, et au moins la majorité des administrateurs de la fondation doivent également y avoir leur domicile (ou leur siège social pour des administrateurs personnes morales). En pratique, ce dispositif réserve l’usage de la fondation patrimoniale aux personnes ayant une réelle attache monégasque (par exemple, les résidents de Monaco), conformément à l’objectif de la loi de servir la communauté locale de particuliers fortunés.
Administration et gouvernance : La gestion de la fondation est confiée à un ou plusieurs administrateurs (aux rôles comparables à ceux de trustees ou de membres d’un conseil d’administration). Les administrateurs peuvent être des personnes physiques ou morales ; si une personne morale est nommée, elle doit désigner un représentant permanent qui assumera les mêmes responsabilités civiles et pénales qu’un administrateur personne physique.
Droits d’enregistrement : Lors de la constitution, l’acte constitutif de la fondation doit être enregistré auprès de l’Administration fiscale, et un droit d’enregistrement unique est perçu. Si le fondateur est une personne physique, l’acte est soumis à un droit fixe de 1 000 € (à acquitter lors du dépôt de l’acte, dans les 10 jours suivant la signature s’il est notarié, ou dans le mois s’il est sous seing privé). En revanche, si le fondateur est une personne morale (telle qu’une société ou un trust agissant en cette qualité, conformément à l’article 1), un droit d’enregistrement proportionnel plus élevé s’applique : 2 % de la valeur totale des biens et droits transférés à la fondation (en lieu et place du forfait de 1 000 €), avec un taux réduit de 0,5 % pour tout apport de titres monégasques.
Régime fiscal pendant la durée de vie de la fondation : Monaco n’applique ni impôt sur le revenu ni impôt sur la fortune aux personnes physiques, et de même, la fondation n’est soumise à aucun impôt sur ses revenus ou plus-values (tant que la fondation n’exerce pas d’activité commerciale).
Au décès du fondateur (droits de succession) : Un point fiscal crucial concerne le traitement des actifs de la fondation au décès du fondateur. Monaco ne prélève aucun droit de succession entre parents proches (taux de 0 % entre parents et enfants, par exemple), mais applique des droits sur les successions en ligne indirecte ou au profit de bénéficiaires sans lien de parenté, selon un barème progressif. En vertu de l’article 20 de la proposition, lorsque le fondateur (personne physique) décède, les biens et droits détenus dans la fondation sont traités, aux fins de l’impôt successoral, comme s’ils faisaient partie de la succession du fondateur transmise aux bénéficiaires. En d’autres termes, la part des actifs de la fondation revenant à chaque bénéficiaire sera soumise aux droits de succession monégasques, calculés d’après le lien de parenté entre le fondateur et ce bénéficiaire.


Mesures de conformité réglementaire et de transparence
La Proposition de loi n° 268 place un fort accent sur la transparence, le contrôle et la conformité en matière de LBC/FT (lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme), en phase avec les normes internationales (notamment les recommandations du GAFI). Les auteurs ont explicitement indiqué que le texte a été élaboré pour satisfaire à la Recommandation 24 du GAFI relative à la transparence des personnes morales. Plusieurs volets de conformité sont intégrés dans le dispositif :
  • Autorisation gouvernementale et supervision : Comme décrit, une fondation patrimoniale ne peut être créée sans autorisation administrative préalable du Ministre d’État. Ce processus d’agrément implique vraisemblablement des vérifications d’antécédents sur le fondateur et les administrateurs, et assure que l’objet proposé de la fondation ainsi que ses règles de fonctionnement sont conformes aux exigences légales.
  • Enregistrement et publicité : La fondation patrimoniale doit être inscrite, dès sa création, sur un registre spécial tenu par le Registre du Commerce et de l’Industrie (RCI) de Monaco. Certaines informations clés concernant la fondation sont ainsi enregistrées officiellement. De plus, un extrait de l’acte constitutif est publié au Journal de Monaco (Journal officiel de la Principauté) peu après l’autorisation ministérielle.
  • Bénéficiaires effectifs : La loi étend le régime monégasque de transparence des bénéficiaires effectifs aux fondations patrimoniales. L’article 29 de la proposition de loi assujettit ces fondations aux mêmes obligations de déclaration concernant les bénéficiaires effectifs que celles applicables aux sociétés, en vertu de la Loi n° 1.362 modifiée (relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux). En pratique, l’identité des bénéficiaires effectifs d’une fondation devra être déclarée et inscrite au Registre des Bénéficiaires Effectifs, au même titre que pour les structures sociétaires.
  • Exigences comptables et audit : Les fondations patrimoniales sont soumises à des obligations strictes de tenue de comptabilité et de contrôle afin de promouvoir la transparence financière et prévenir les abus. Elles doivent établir des comptes annuels – un bilan faisant état des fonds de dotation et un compte de résultat – conformément aux règles comptables monégasques applicables aux sociétés anonymes (adaptées à la nature d’une fondation). En outre, chaque fondation doit obligatoirement nommer un commissaire aux comptes, choisi parmi les membres de l’Ordre des Experts-Comptables de Monaco.
  • Maintien d’actifs à Monaco : Une autre règle de conformité impose à la fondation de conserver une part substantielle de ses avoirs dans des établissements financiers monégasques. Lors de sa création, la fondation doit ouvrir un compte auprès d’une banque établie à Monaco pour y déposer la dotation initiale. De plus, tout au long de son existence, la fondation est tenue de maintenir au moins 50 % de ses actifs financiers sur un compte dans un établissement de crédit monégasque.
  • Lutte anti-blanchiment et sanctions : En intégrant les fondations patrimoniales dans le champ de la Loi n° 1.362 (principale loi monégasque en matière de LBC/FT), la fondation et ses gestionnaires sont assujettis à toutes les obligations pertinentes visant à prévenir le blanchiment de capitaux, le financement du terrorisme et la corruption, y compris les mesures de gel des avoirs et sanctions financières internationales.
Accueil positif et perspectives
Le secteur financier et juridique de la Principauté a réagi positivement à la perspective de cette fondation patrimoniale. La Commission des Finances et de l’Économie du Conseil National – qui a examiné la proposition de loi en juin 2025 – a exprimé une satisfaction générale vis-à-vis du dispositif. Les observateurs soulignent que le texte trouve un équilibre important : d’une part, il renforce la compétitivité de Monaco en dotant les gestionnaires de patrimoine et conseillers d’un outil comparable à ceux dont disposent d’autres centres financiers internationaux ; d’autre part, il maintient des obligations de conformité strictes, confortant la réputation monégasque en matière de régulation rigoureuse. En substance, les professionnels de Monaco pourront, si la loi est adoptée, proposer aux familles un véhicule de fondation moderne similaire à ceux des juridictions les plus établies, sans compromettre la transparence ni le contrôle. Cette évolution est saluée comme le signe que Monaco est à l’écoute des retours du secteur et adapte son cadre légal pour mieux servir ses résidents fortunés.
Malgré cet optimisme, il est rappelé que la fondation patrimoniale n’est pas encore inscrite dans la loi. En tant que proposition de loi, le dispositif nécessite encore plusieurs étapes législatives. Le texte a certes été formellement adopté par le Conseil National ; mais pour aboutir, il devra être repris par le Gouvernement sous forme de projet de loi, puis faire l’objet d’un vote final du Conseil. Ce n’est qu’après son adoption législative – et la sanction subséquente par S.A.S. le Prince – que ses dispositions pourront entrer en vigueur. Les législateurs et les acteurs du secteur restent toutefois confiants qu’au vu du large soutien dont bénéficie la mesure et de ses avantages évidents, elle progressera vers une mise en œuvre dans un futur proche.
La communauté monégasque active de Trust and Company Service Providers, d’avocats, et de family offices (single et multi-family) possède une riche expérience dans la gestion de structures similaires à l’étranger. Leurs contributions pourront aider à affiner le régime de la fondation – par exemple en veillant à ce que le processus de migration de fondations ou trusts étrangers vers Monaco soit fluide, ou en clarifiant les interactions possibles des fondations patrimoniales avec les tribunaux monégasques en cas de litige ou d’insolvabilité, voire en précisant les obligations professionnelles des administrateurs de ces fondations. Le Conseil National a reconnu que le dialogue continu avec les praticiens sera précieux, étant donné que ce sont ces professionnels qui conseilleront les clients d’utiliser la nouvelle structure et qui, souvent, en assureront l’administration au quotidien. En intégrant ces retours, Monaco pourra ajuster les aspects du dispositif nécessitant des précisions et émettre des lignes directrices pour lever les ambiguïtés (concernant, par exemple, le traitement d’éventuelles actions en réduction portant sur les actifs d’une fondation, ou les obligations déclaratives pour les fondations détenant des actifs dans plusieurs juridictions).


Conclusion
L’offensive de Monaco en faveur d’une fondation patrimoniale traduit une volonté proactive de moderniser ses offres en matière de gestion de fortune. Cette initiative promet de combler une lacune de longue date en fournissant aux familles fortunées de Monaco une solution domestique pour la planification successorale et la protection d’actifs, alignée sur les standards internationaux tout en restant conforme aux exigences réglementaires. Bien que le processus législatif doive suivre son cours, l’introduction de cette proposition de loi témoigne d’une vision constructive et tournée vers l’avenir. Si – et une fois – le cadre de la fondation patrimoniale est adopté, Monaco aura réussi un équilibre nuancé : renforcer son attractivité en tant que place de gestion patrimoniale, tout en réaffirmant son engagement envers les standards financiers mondiaux. La communauté financière monégasque suit ce projet avec anticipation, convaincue que cette mesure, une fois entérinée, viendra consolider le statut de Monaco en tant que juridiction sûre et sophistiquée pour la structuration patrimoniale.

Rosemont suivra l’avancement de ce projet et vous tiendra informés de ses développements.


Pour toute question, veuillez contacter Peter Brigham